Ce crucifix, haut de 14 centimètres, conçu avec des balles de fusil français, est représentatif de l’artisanat des tranchées et de sa popularité auprès des collectionneurs après la Première Guerre mondiale.
Description
Le crucifix, fait de balles en cuivre, repose sur un pied circulaire cerné d’un motif de perles et orné de feuilles. La figure du Christ a été réalisée avec minutie ; on remarque le détail des doigts et des muscles, notamment des abdominaux, ainsi que le drapé du périzonium. L’auréole du Christ s’inscrit dans un médaillon figurant la cathédrale de Reims incendiée accompagnée de l’inscription « Reims martyre ».
L’artisanat des tranchées ; un passetemps pour les Poilus
cet objet est, en effet, un bon témoignage du phénomène que l’on appelle encore aujourd’hui « art des tranchées », ou encore « artisanat de tranchées ». Cet artisanat se constitue d’objets fabriqués à l’arrière ou par les Poilus eux-mêmes pendant leurs temps d’attente dans les tranchées, avec ce qu’ils avaient à disposition sur place, gratuitement et en abondance, à savoir des douilles d’obus ou des balles, bien identifiables sur ce crucifix.
Ces douilles et ces balles étaient conçues dans des matériaux faciles à travailler comme le laiton, l’étain, l’aluminium ou le cuivre, ce qui facilita la tâche aux Poilus. Parmi ces Poilus se trouvaient, par ailleurs, beaucoup de paysans et d’ouvriers, habitués au travail manuel des plus minutieux, pour les graveurs et les horlogers notamment.
Ce travail manuel portait souvent sur les objets de son propre camp, notamment les douilles et munitions. Ici, il s’agit de balles de fusil Lebel, munitions du camps français. Le camp adverse usait plutôt de l’acier, un métal très difficile à travailler, exception faite des éclats de métal avec lesquels ont pu être confectionnés certains objets.
Dans les tranchées, lutter contre la peur
Outre les nouveaux moyens, la singularité de la Première Guerre mondiale, en tant que guerre de position, statique, et non plus de mouvement, permettait de prendre le temps de confectionner de tels objets.
L’artisanat des tranchées permettait aux Poilus d’évacuer l’angoisse et de ne plus penser à la guerre ainsi qu’à la mort qui les entourait. Par ailleurs, cet artisanat faisait des amateurs et permettait aux soldats, par la vente, d’obtenir de quoi s’acheter de la nourriture supplémentaire ainsi que des substances comme l’alcool et du tabac, qui contribuaient également à inhiber le sentiment de peur.
Dans les tranchées, cette angoisse suscita un retour à la religion d’une population ouvrière et paysanne qui s’était détournée de celle-ci. Des œuvres de dévotion à l’image de ce crucifix en sont le témoignage. Ils pouvaient être disposés sur des autels improvisés sur le champ de bataille. Le musée conserve notamment une chapelle portative datant de la Première Guerre mondiale.
On peut signaler aussi que, le détournement de biens publics, comme les munitions, à des fins personnelles était interdit. Ainsi, nombre de ces objets issus de l’artisanat des tranchées sont anonymes, leurs auteurs évitant ainsi d’être réprimés s’ils survivaient à la guerre.
La brutalisation de la société et le collectionnisme
Après la Grande Guerre, ces objets restèrent très populaires et demandés, d’où l’ouverture de fabriques d’objets dans le même style, dans le même goût de l’artisanat de tranchées avec des balles par exemple, ce que l’on pourrait considérer comme un témoignage de la brutalisation de la société.
Acquisition
Comme pour les autres objets d’artisanat des tranchées présents au musée, ce crucifix a été acquis grâce au don d’un particulier. Aujourd’hui, il est exposé dans la vitrine dédiée aux relations entre l’Eglise et l’Etat. Le musée conserve également dans ses collections une chapelle portative et des objets d’aumôniers dans le coin de la salle d’exposition.
Bibliographie
Parole d’objets [podcast]. RCF Radio, 8 juin 2022, 30 min.
Musée canadien de la guerre, Musée canadien de la guerre [en ligne], 2022.