Ce lutrin en pied, haut de plus de 2 mètres et sculpté d’un grand aigle aux ailes déployées, date de 1749.
Un lutrin entièrement sculpté
L’aigle-lutrin, conçu en bois naturel, est composé d’un pied massif sculpté dans toute sa hauteur au sommet duquel se dresse un aigle dont les ailes déployées soutiennent un simple vantail.
Les ailes et le corps de l’animal ont été sculptés séparément puis assemblés. Le plumage en relief a été soigneusement travaillé.
Son imposant bec et son regard ombragé donnent à l’aigle un air farouche et majestueux tandis que ses grandes serres maitrisent le serpent du Mal, lequel ne semble pas avoir bénéficié du même soin de la part du sculpteur. Les deux animaux reposent sur un globe surmontant un balustre sculpté de tête d’angelots baroques.
La base triangulaire, traitée en volutes présente le même vocabulaire baroque ; deux de ses faces présentent chacune un blason différent qui a été gratté. L’un représente une mitre barrée d’une croix et d’une crosse et l’autre représente une couronne sur laquelle s’entrecroisent une flèche et une plume. Pour le premier, il pourrait s’agir d’un blason d’une abbaye dont l’abbé avait droit au blason d’évêque, c’est-à-dire un abbé mitré. Toutefois, il reste à établir si l’abbé du petit-Cîteaux était mitré ou non.
Les trois pieds reproduisent le motif des serres de l’aigle agrippant le globe.
Un pupitre pour chanter
Ce pupitre tournant se tenait au milieu du chœur devant l’autel de l’église. On y plaçait le plus gros livre liturgique pour lire ou chanter, probablement l’antiphonaire, qui contient les antiennes, les versets, les psaumes (la présence de lectures et de chants est un élément commun aux messes, qu’elles soient dites selon le rite tridentin ou le rite Vatican II). Sa hauteur s’explique par le fait que, en général, et surtout dans les grandes cathédrales, il y avait plusieurs chantres qui lisaient et chantaient, il fallait donc se mettre à distance pour éviter de se bousculer. Il s’agit bien d’un lutrin et non d’un ambon, pupitre réservé à la lecture et à la prédication.
Le lutrin et la symbolique de l’aigle
Le lutrin était désigné autrefois comme « l’aigle », étant donné qu’il avait souvent une forme d’aigle (le musée en conserve trois autres exemplaires non-exposés). En fait, la configuration entière du lutrin, en tant que mobilier liturgique, est régie par une symbolique théologique : la base doit reposer sur trois pieds en référence à la Trinité. Le socle représentait les symboles des quatre évangélistes, ce qui n’est pas le cas ici.
En effet, ce lutrin semble privilégier la symbolique de l’aigle de l’Evangéliste Jean jusqu’aux pieds, habituellement sculptés en griffe de lion, en référence à l’Evangéliste Marc. Le choix de l’aigle pour soutenir le livre se justifie en partie par des raisons pratiques car il est le seul des quatre vivants à pouvoir déployer ainsi ses membres pour former un support. Mais sa présence se justifie également pour sa symbolique. L’Aigle de Jean est l’esprit prophétique ; il annonce. Mais l’aigle est aussi, entre autres, symbole du Christ car il renvoie à la Résurrection et à la capacité de cet oiseau à voir le soleil en face comme le Christ voit le Père en face.
« Tu renouvelles, comme l’aigle, ta jeunesse. »
Psaume 102
« Il n’est proprement parler qu’un seul et véritable aigle, c’est Jésus-Christ. »
Saint Ambroise
De même, la légende raconte que Jean de Patmos (à ne pas confondre avec Jean l’Evangéliste) se serait servi d’un aigle comme pupitre pour rédiger son livre de l’Apocalypse.
Sur les symboles des quatre évangélistes
Les symboles des quatre évangélistes tirent leur origine de la vision de la gloire divine d’Ezéchiel, dans l’Ancien Testament. Alors qu’il se trouve près du fleuve Kebar, les cieux s’ouvrent et Ezéchiel aperçoit les quatre vivants aux quatre faces d’homme, de lion, de bœuf et d’aigle.
« Quant à la figure de leurs faces, ils avaient tous une face d’homme, tous quatre une face de lion à droite, tous quatre une face de bœuf à gauche, et tous quatre une face d’aigle. »
Ezéchiel 1 : 10
Les quatre vivants se retrouvent ensuite dans la vision du trône de Dieu de l’Apocalypse. Au IIe siècle, Irénée de Lyon est le premier à mettre en relation les quatre évangélistes et les quatre vivants en suivant le livre de l’Apocalypse. L’Evangile de Jean qui raconte la génération prééminente et glorieuse du Christ est assimilé au lion pour son caractère royal et puissant. Le caractère sacerdotal de l’Evangile de Luc qui commence par le sacrifice de l’encens de Zacharie est assimilé au bœuf qui manifeste la fonction de sacrificateur du Christ. Le visage d’homme évoque l’incarnation du Christ dont la génération humaine est contée dans l’Evangile de Matthieu. Enfin, l’aigle est comme le don de l’Esprit volant sur l’Eglise dans l’Evangile de Marc.
Le symbolisme traditionnel de l’aigle de Jean et du lion de Marc, qui s’impose par la suite, vient de la préface de saint Jérôme introduite dans la Vulgate, expliquant son adoption générale en Occident. Selon lui, Marc fait entendre la voix du lion qui rugit dans le désert pour préparer la voie du Seigneur tandis que Jean prend des ailes d’aigle pour s’élancer plus haut encore et traiter du verbe de Dieu.
Un objet régional
Ce lutrin provenait à l’origine de l’église de la grande abbaye cistercienne fondée avant 1121 par Thibaud IV à la demande de l’abbé de Cîteaux dans l’actuelle commune de La Colombe (Loir-et-Cher). Cette église subit des dégâts lors de la guerre de Cent Ans et des guerres de Religion avant, bien plus tard, en 1790, sous la Révolution, d’être désaffectée puis supprimée. Aujourd’hui il n’en reste plus qu’un pont, des douves et des communs. Le lutrin, meuble important, a survécu à cette destruction en étant placé dans l’église de la commune voisine de Verdes, avant d’arriver finalement au musée par le biais d’un dépôt.
Bibliographie
SAUVAGE, Jean-Paul, « Lutrin en bois sculpté », La Renaissance du Loir & Cher, 21 mars 2014.
Parole d’objets [podcast]. RCF Radio, 9 juin 2019, 24 min.
Wikimedia Foundation, Inc., Wikipédia [en ligne], 2022.
KAESTLI, Jean-Daniel, « Les symboles des quatre évangélistes », jfbradu [en ligne], 1999.